Millas, Eglise Sainte-Eulalie

Tribune de l'église Sainte-Eulalie de Millas, Photo : CC PO Dittmar/RCPPMLa somptueuse tribune de l’église Sainte-Eulalie, porte un formidable système décoratif, composé des armes (et marques de marchant) des habitants du bourg et d’une série de visages sculptés très expressifs (femmes, hommes, prophètes, animaux). Chose rarissime se plafond est également documenté par deux contrats, l’un concernant la structure, l’autre la peinture.

Inscription au titre des Monuments historiques le 31/05/1965

Adresse

Eglise Sainte-Eulalie, Millas, Pyrénées-Orientales

Contexte historique

L’église Sainte-Eulalie de Millas, comme beaucoup d’autres, a vu sa charpente peinte remplacée par des voûtes néogothiques en 1850-51. On a alors rehaussé la charpente d’un bon mètre et remployé les poutres et les corbeaux peints de rouge et d’or. Rien d’original dans cette histoire. Mais l’église avait sans doute été partiellement reconstruite au XVe siècle, après le tremblement de terre de 1428. A cette occasion, une ample tribune, faite de bois et peinte, destinée à recevoir un orgue, fut bâtie dans la dernière travée. Pour la sou- tenir on éleva un élégant et monumental arc en pierre calcaire, allégé par deux oculi.

Description

C’est un des plus remarquables témoignages, très injustement méconnu, de l’art gothique en Roussillon : 120 m2, 54 têtes sculptées dans les corbeaux, de nombreux écus armoriés, une éclatante polychromie de rouge, de noir, de blanc, mais aussi de bleu – rare parce que coûteux. L’ouvrage est exceptionnel. Le modèle en était la tribune de l’immense église des Carmes de Perpignan, ravagée par un incendie en août 1944, mais connue par un relevé de Formigé en 1874 et un cliché.

Iconographie

La tribune de Millas repose sur des corbeaux de bois, simples, du côté du mur pignon dans lequel ils sont enchâssés, et doubles, à l’opposé, traversant l’arc diaphragme. Ces corbeaux, sculptés et peints, sont décorés avec une extraordinaire puissance expressive presque exclusivement de visages. Comme aux nefs de Trèbes ou d’Aragon, hommes et femmes y sont représentés de manière équilibrée ; un motif de diable, griffon, singe ou lion vient parfois interrompre cette représentation du peuple de Dieu. Sur le côté extérieur de la tribune, tous les cor- beaux sont sculptés ; sous la tribune, côté nef comme côté portail, les corbeaux sculptés de visages alternent avec d’autres plus simple- ment moulurés. Le détail de l’ornementation est très soigné : les joues des corbeaux sont décorées d’un ruban, rouge sur l’un, bleu sur l’autre, ruban lui-même rehaussé de petites fleurs blanches.

Deux rangées de closoirs peints de motifs végétaux où alternent les fonds rouges et bleus s’intercalent entre les corbeaux et au- dessus, entre les poutres. Horizontalement, l’espace entre les corbeaux est occupé par des rosaces à trois, quatre ou cinq lobes, qui se détachent sur fond rouge.

Les poutres sont elles-mêmes peintes : deux bandes rouges séparées par une bande blanche. Les joues des poutres sont décorées elles aussi de petites stries rouges. Et, détail particulièrement soigné, entre les poutres, les ais d’entrevous sont eux-mêmes peints. Au milieu des poutres sont figurées des armes, dont quelques-unes sont nobles. Elles voisinent avec des marques de marchands et des armes parlantes : un carcan pour Bernat Carcaner, une comporte pour Pere Semaller, une paire de souliers pour Antoni Sabater, tous trois prêtres issus de familles locales. Rare expression des solidarités au sein de la communauté paroissiale que ce rassemblement d’écus !

Outre la qualité du travail du charpentier et du peintre, la tribune de Millas est unique à un second titre. C’est, pour l’ensemble de la France méridionale, la seule charpente peinte pour laquelle les contrats de commande ont été conservés. Il faut se réjouir de la richesse des archives conservées par les notaires de- puis le XIIIe siècle dans cette région et de la Millas, Tribune, détail, Photo CC dittmarconnaissance profonde qu’en a Rodrigue Tréton. Grâce à lui nous connaissons la vie de cette active bourgade – petite capitale des vicomtes de Perellos – qu’est Millas en ce milieu du XVe siècle et nous pouvons identifier les porteurs des armes parlantes peintes sur les poutres soutenant la tribune. Nous apprenons que la tribune fut financée par la confrérie des Innocents, mais aussi par les offrandes et les legs testamentaires que recueillaient les deux recteurs de l’œuvre de l’église, cette institution liée à l’administration municipale et destinée à entretenir et embellir la nef de l’église paroissiale. Enfin, exceptionnellement, nous connaissons le charpentier (fustier) à qui fut confiée le 22 août 1440 la maîtrise de l’ouvrage, Pere Vidal, habitant de Perpignan mais originaire de Millas et le peintre perpignanais bien connu, Bartolomeu Capdevila, avec qui le contrat fut signé le 11 juin 1442. Cet ouvrage ambitieux et coûteux est tout à la fois le signe de la ferveur des paroissiens de Millas mais aussi le moyen un peu ostentatoire d’afficher la prospérité de la ville. A cet égard, les intentions des paroissiens et des desservants de l’église ne sont pas très différentes de celles d’un prince, d’un prélat ou d’un riche bourgeois lorsqu’il s’agit de passer commande d’un plafond peint.

Monique Bourin, Rodrigue Tréton

Photo. CC PO Dittmar

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