L’héraldique, associée à l’histoire, l’histoire de l’art et la dendrochronologie, va produire des petits miracles pour la datation des plafonds peints. Voici quelques pistes pour voir comment utiliser cette science sous les plafonds. Pour chaque étude de plafond, est menée une véritable enquête !
Trouver l’axe de lecture
L’héraldiste s’attache à trouver la place d’honneur du plafond, pour voir qui est le propriétaire des lieux, qui il a choisi d’honorer et quel est son réseau relationnel. Lorsque par exemple on pénètre dans la spectaculaire Cour de justice de Pont-Saint-Esprit, ornée d’une charpente peinte et armoriée du milieu du XIVe siècle, on se trouve face à 261 écus. Le regard est attiré par la cheminée monumentale placée au nord. Pour Christian de Mérindol, « L’espace autour de la cheminée est hiérarchiquement supérieur dans une salle ». C’est généralement là que se trouvent les écus les plus importants.
Et effectivement, lorsque l’on lève les yeux du côté de la cheminée, près de la plate-bande centrale richement ornée, sur la gauche, le premier écu que l’on voit est celui du roi de France. En face de lui, figure l’écu des Piolenc (écu présent 33 fois sur l’ensemble de la charpente). Nous savons tout de suite qui est honoré ici, le roi, et chez qui nous sommes, les Piolenc. Cette dynastie de négociants en blé porte les armes de gueules à six épis de blé d’or posés 3, 2, et 1 et à la bordure engrêlée de même. La dendrochronologie a permis de dater les bois de la charpente des années 1333-1334, tandis que l’héraldique a daté la réalisation des peintures dans les années 1337-1343. Le passage du roi Philippe VI de Valois à Pont-Saint-Esprit en mars 1336 vient confirmer cette hypothèse.
La famille de Piolenc met cette salle à disposition pour le juge royal. Ce rôle est indiqué par la présence de l’écu du juge royal Guillaume de Laudun dans la première travée devant la cheminée, lieu même où s’exerçait la justice. Ses armoiries sont entourées de fleurs de lis dans des médaillons et des écus de Piolenc. On ne saurait être plus clair !
Chaque plafond a donc son axe de lecture. L’héraldiste doit le trouver pour mieux appréhender l’étude du plafond. C’est parfois plus ardu, notamment au château de Pomas, où l’entrée d’origine de la salle a disparu. Nous avons tenté de retrouver sa place, non pas en nous appuyant sur les vestiges architecturaux, mais sur les écus peints sur le plafond : où est placé l’écu de la famille Rabot, les propriétaires du château ? Où sont les places d’honneur ? L’étude de ces plafonds est particulièrement délicate dans la mesure où l’ordre initial de certains closoirs aurait été modifié (Peyron 1978, p. 9) et où d’autres ont disparu.
S’immerger dans l’échiquier politique local
Pour faire parler l’héraldique des plafonds peints, il faut s’immerger dans le contexte politique et social d’une région à une période donnée, connaître l’échiquier local et les acteurs qui détiennent le pouvoir à cette période. Il faut aussi oser entrer dans l’intimité d’une famille, celle des propriétaires des lieux au moment où le plafond a été réalisé, pour trouver les événements qui s’y rapportent (mariage, anoblissement, etc.). Tout cela bien sûr, dans le but de mieux « lire » le plafond. On assiste parfois à la promotion sociale d’une puissante famille nouvellement enrichie, comme les Piolenc à Pont Saint Esprit ou les Brignac à Montagnac.
Faire un selfie médiéval ?
Pour Pierre-Olivier Dittmar, les plafonds armoriés du Moyen Âge sont un peu le Facebook de l’époque (Dittmar 2011). Aujourd’hui, sur son « mur » d’images, on se met en scène, on affiche ses amis et son réseau. Au Moyen Âge, on met les siens sur son plafond, ses proches, épouse, famille, enfants, les amis, les amis des amis, ceux que l’on ne connaît pas forcément personnellement mais que l’on aspire à connaître ou que l’on admire. Ceux à qui on rend hommage, etc.
Jongler minutieusement avec les dates…
Comme le dit Monique Bourin dans l’ouvrage Images oubliées du Moyen Age, « le croisement des armoiries détermine une fourchette chronologique souvent étroite pour dater la commande d’un plafond » (Bourin 2011). Lorsque l’on étudie un plafond armorié, on coupe et recoupe des dates en permanence : dates de naissance, de mort, de mariage, d’accession au pouvoir, d’un événement, de nomination dans une fonction, avec pour objectif d’être au plus près de la datation de la réalisation du plafond. Les personnages sur les plafonds sont généralement en vie et/ou en fonction au moment où le plafond a été réalisé. Le plafond est comme un « instantané » d’une période ou d’un événement.
Par exemple, pour celui de l’hôtel de Brignac à Montagnac, Philippe Huppé a pu dater sa réalisation grâce à la coexistence brève de deux personnages présents sur le plafond : le duc de Berry, fils cadet de Charles VII, né à la toute fin de 1446, et le pape Eugène IV, mort en février 1447. Une fourchette de quelques mois seulement peut dans ce cas être proposée pour dater la réalisation du plafond : entre décembre 1446 et janvier 1447.
Mais tous les plafonds ne s’appréhendent pas de la même manière : à Metz, sur le plafond peint de la rue des Clercs, les deux papes dont les écus ornent le plafond ne sont pas contemporains : Urbain V (1362-1370) et Clément VII (1378-1417) antipape, initiateur du grand schisme d’occident. Après avoir étudié l’ensemble du plafond, Nathalie Pascarel fait le constat que les armoiries semblent avoir été choisies en lien avec la vie du commanditaire ou un événement important auquel il aurait participé. Elles témoignent de la volonté d’appartenance à la vie « politique » de son temps et ne sont pas à utiliser comme outils de datation stricto-sensu. Chaque plafond a donc sa « recette » qu’il faut trouver.
Proposer des reconstitutions
Lorsqu’une partie des closoirs d’un plafond a disparu, on peut proposer des restitutions des écus disparus. Comment ? Avec prudence, bien sûr, mais par des déductions sur la présence de tel ou tel personnage sur tel plafond selon les autres personnages présents, et après avoir étudié plusieurs ensembles. Sur les plafonds de la maison du Viguier à Puisserguier, au château de Pomas ou au 16 rue Paul Vergnes à Lagrasse, les armes du roi sont présentes, de même que celles de Georges d’Amboise, l’archevêque de Narbonne, l’un des personnages les plus importants du royaume à la fin du XVe siècle. Son écu se retrouve très souvent et on peut donc en déduire qu’il était un personnage incontournable du « gotha » de la fin du XVe siècle et qu’on va le retrouver souvent auprès du roi, sur les plafonds. On peut reconstituer le réseau des cardinaux à Saint-Pons de Mauchiens, à l’étude également.
On n’y voit rien !
Parfois, lorsque l’on étudie un plafond peint, on fait face à de nombreux soucis de lecture : écus illisibles, couche picturale partiellement effacée, repeints maladroits, écus recouverts de suie, pigments dégradés ou ayant « viré », mauvaise interprétation des meubles, écus grattés, etc. Heureusement, les nouvelles technologies, comme la photographie sous infra-rouge, permettent de découvrir des détails cachés et « illuminer » parfois la lecture d’un sombre écu.
À qui est cet écu ?
L’identification de certains écus peut parfois poser des problèmes, car son possesseur supposé est connu par ailleurs avec d’autres armoiries. Est-ce que l’attribution est erronée ? Nous avons le cas à Saint-Pons de Mauchiens pour Simon de Cramaud, à qui deux écus sont attribués (Michel Popoff, Un armorial des papes et des cardinaux, Le Léopard d’or, 2016). L’étude est en cours et l’attribution sera certainement modifiée. Il faut donc très souvent remettre le métier sur l’ouvrage.
Quand les peintres s’emmêlent… les pinceaux
L’héraldique est une science assez précise et parfois les peintres des plafonds commettent quelques erreurs en peignant les écus, compliquant leur identification. Par exemple, à Lagrasse, le cardinal Georges d’Amboise se retrouve avec les émaux de son écu inversés : le palé d’or et de gueules de 6 pièces devient palé de gueules et d’or. Le comte de Foix, quant à lui, trouve son écu d’or à 3 pals de gueules transformé en palé d’or et de gueules au château de Pomas.
Parfois, les peintres utilisent un armorial obsolète. Luisa Clotilde Gentile nous explique que sur un plafond italien de Chieri, se trouvent les anciennes armoiries de Bretagne, à savoir celles de la maison de Dreux (un franc-quartier d’hermine chargeant un échiqueté). Lors de la réalisation de ce plafond du milieu du XIVe siècle, ces armoiries ne sont plus d’usage. Enfin, dans certains cas, ce sont les commanditaires qui ont communiqué des informations erronées ou mal interprétées aux peintres.
Un peu d’humour médiéval
Même dans leurs écus, les hommes et femmes du Moyen Âge ont de l’humour et peuvent jouer sur les mots. À la fois pratique et rapidement identifiables, les armes parlantes sont souvent drôles : les Rabots, Jacques Cœur.
Présence in absentia
Tout comme un sceau appendu au bas d’une charte atteste de la présence physique du signataire (Laurent Macé, La Majesté et la Croix, 2019), les écus peints sur les closoirs des plafonds ne sont pas seulement un « Who’s who ?» médiéval, mais manifestent la présence physique des personnages. Les écus rendent tangible la présence de leurs possesseurs. En effet, comme l’écrit Laurent Hablot : « l’écu armorié existe pour celui qui l’utilise in absentia. A ce titre, il peut signifier la présence virtuelle de son titulaire, être couronné comme la tête même du prince, être vêtu de deuil, être jugé et diffamé par contumace (jugé par un juge en l’absence du condamné) » (Hablot 2019). Toute une société est donc présente au-dessus de nos têtes, lorsque nous étudions les plafonds peints.
Dans l’un des plafonds du château de Pomas, un écu est présenté à l’envers à côté d’un homme peint la tête en bas. Devons-nous y voir un signe d’infamie ? Encore une nouvelle enquête que l’héraldique permettra peut-être de résoudre !